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Comment repenser le travail de la terre?

Retour sur des ouvrages essentiels

Manifeste pour une agriculture durable (Lydia et Claude Bourguignon)

« L’agriculture, qui est le fondement de la vie humaine, est la source de tous les vrais bien. » Fénelon

 

 

INTRODUCTION

 

L’idéologie qui sous-tendait le modèle de la « révolution verte », impliquant l’intensification de l’agriculture par le recours massif aux engrais et aux pesticides notamment, allait de pair avec une industrialisation du vivant. Par conséquent, l’agriculture qui en fut issue ne pouvait qu’être polluante dans la mesure où le vivant n’était pas envisagé comme tel. Bien plutôt, il est depuis conçu comme une industrie sur laquelle l’homme et la chimie moderne ont le dessus. Au problème de la destruction de l’agriculture qui en découle doivent donc être apportées des solutions visant à transformer l’agriculture française quantitative en une agriculture durable et qualitative.

 

I – HISTOIRE DE LA DESTRUCTION DE L’AGRICULTURE FRANCAISE ET DU SACRIFICE DE SES PAYSANS

 

L’agriculture découle d’un long processus d’évolution. En France, le maraîchage péri-urbain utilisé au XIXe siècle, modèle complexe issu de ce processus et qui permettait pourtant d’obtenir un rendement dix fois supérieur au maraîchage industriel actuel, fut écarté par la Première Guerre Mondiale et son industrie militaire toute-puissante. Plus précisément, suite aux deux Guerres le matériel militaire recyclé des USA fut répandu au sein de l’agriculture française. Cette « pétroculture » qui, comme son nom l’indique, est une agriculture qui dépend du pétrole et non du soleil, pollue ses sols et les rend dépendants de la chimie qu’on leur insuffle.  De plus, elle est énergivore car la France importe 100% de son pétrole et elle est non rentable : dix calories de pétrole sont nécessaires pour produire une calorie alimentaire de plein champ et trente-six calories de pétrole permettent de produire une calorie alimentaire hors-sol.

 

LA DEGRADATION BIOLOGIQUE DES SOLS AGRICOLES

 

L’introduction d’engrais (en particulier les azotés) dans un sol, comme l’irrigation (sur un sol chaud) et le labour induisent une chute de la quantité de matière organique au sein de celui-ci. Tous trois ont une conséquence commune : l’accélération de la minéralisation de la matière organique par les bactéries.

  • Engrais azotés: un excès d’azote engendre la prolifération de bactéries au détriment des champignons « qui se multiplient vingt fois plus lentement » que ces dernières et sont les seuls à pouvoir attaquer la lignine* qui est essentiellement à l’origine de l’humus.
  • « la minéralisation prend le pas sur l’humification »

 

Excès d’azote ou « mort biologique »Bactéries>Champignons

Minéralisation>Humification

Lessivage de nitrate dû aux engrais >nappes phréatiques

Sol vivantLes champignons attaquent la lignine à l’origine de l’humus qui fait ensuite l’objet d’une minéralisation microbienneAssimilation possible du nitrate par les plantes

 

  • Irrigation: L’eau est apportée en période chaude ce qui augmente par trois la réaction chimique qu’est la minéralisation.
  • Labour : « dégage une tonne de gaz carbonique par hectare et par an »[1]

 

Par conséquent, les vers de terre qui se nourrissent habituellement de cette matière organique et aèrent les sols en remontant leurs excréments à la surface de celui-ci sont de moins en moins nombreux. Les nutriments (potasse, magnésium, calcium, fer…) restent donc à l’intérieur du sol et sont précipités vers les rivières et les nappes phréatiques au lieu d’être remontés.

 

 

LA DEGRADATION CHIMIQUE DES SOLS AGRICOLES

 

La perte des éléments nutritifs engendre une acidification des sols.  Le calcium, le magnésium, le fer et l’aluminium servent de pont d’attache entre les argiles et les humus. Leur absence engendre donc une acidification des sols et le complexe argilo-humique ne pouvant se former, on assiste à une précipitation des argiles dans l’eau.

 

 

LA DEGRADATION PHYSIQUE DES SOLS AGRICOLES

 

La suspension des ces argiles dans l’eau augmente la densité de l’eau (initialement égale à un ; celle du sol est supérieure à un) au-delà de deux. Par conséquent, elle sera capable d’entraîner de gros objets comme des automobiles.

Par ailleurs, s’ajoutent aux engrais, au labour et à l’irrigation, les problèmes liés à la gestion des excréments, mais aussi plus généralement celle des eaux usées, tous deux sources d’altération des sols. Par exemple :

  • La méthanisation: « Lors de la méthanisation des lisiers, une grande partie du carbone des lisiers part sous forme de méthane (CH4), et on déverse sur les sols un digestat trop pauvre en carbone pour faire de l’humus et rempli de germes anaérobiques dont beaucoup sont pathogènes pour la faune du sol. »[2] Or, le sol a besoin du carbone contenu dans la matière organique.
  • Les fosses sceptiques: « les effluents restent en anaérobiose […] et perdent une partie de leur azote sous forme d’ammoniac »[3].
  • Le tout-à-l’égout: de l’Antiquité au Moyen-âge et du XIXe siècle au milieu du XXe siècle, « ce qui vient de la terre ne retourne plus à celle-ci mais part à la mer. »[4]

Bétonnage et accaparement des terres agricoles par des pays ou des multinationales font également partie de ce qui menace notre agriculture.

D’une part, en ce qui concerne l’artificialisation des sols, on constate que « sur l’ensemble de la planète, ce sont 5 millions d’hectares qui disparaissent tous les dix ans sous le bitume et le béton (soit la surface de la France) au nom du « Progrès ». »[5] D’autre part, pour ce qui est de l’accaparement de ces terres, il « […] donne le droit à des multinationales d’exproprier des agriculteurs de leurs terres. »[6]

« Parallèlement à cet appauvrissement et à cette destruction des sols, l’accaparement des semences par les grandes industries participe à la ruine des agriculteurs. »[7]

« Enfin, la dernière cause de la destruction de notre agriculture est la spéculation sur les denrées agricoles et la mondialisation des échanges. »[8]

 

 

II – EVOLUTION VERTE DE L’AGRICULTURE

 

Afin de définir justement l’agriculture, nous ne devons pas l’envisager seulement dans une perspective utilitariste, c’est-à-dire à la réduire à un ensemble de moyens destinés à servir nos fins (faims ?) mais plutôt la considérer comme faisant partie intégrante de la vie sociale, d’autant plus que jusqu’au XVIIIe, le terme de « culture » désigne l’agriculture. Par conséquent, les auteurs se proposent d’en donner la définition suivante afin de tenir compte de ses différents aspects : « […] une gestion, présente et future, d’un écosystème naturel, en vue de produire des aliments sains qui sont le reflet qualitatif et gustatif du « Terroir ». »[9]

 

LA GESTION DE LA FERTILITE DES SOLS

 

Fonctionnement de nos sols

 

Afin de comprendre au mieux comment fonctionnent nos sols pour pouvoir gérer au mieux leur fertilité, il est indispensable de se référer aux écosystèmes sauvages les plus anciens. C’est avant tout la biodiversité qui assure la pérennité des grandes forêts équatoriales.

 

Etude de cas : sol forestier français :

 

Tout d’abord, durant la période hivernale, les arbres entrent en hibernation. Leurs feuilles et leurs branches qui tombent sur le sol vont donc être transformées en excréments par la faune de la surface du sol (la faune épigée) qui va digérer cette litière afin de la rendre destructible par les champignons qui permettent la production d’humus (cf. plus haut à propos des engrais azotés).

 

PREMIERE CONCLUSION : « La formation des humus se fait à la surface, il ne faut donc jamais enfouir de matière organique dans un sol, sans quoi on bloque la formation d’humus. Les champignons sont les seuls organismes (à part quelques rares bactéries peu actives) à attaquer la lignine et à la transformer en humus ; tous les champignons sont aérobies, c’est-à-dire qu’ils ont besoin d’oxygène et vivent dans les dix premiers centimètres du sol. »[10]

 

Ensuite, la faune épigée « […] en circulant, en mangeant et en éliminant ses excréments va transformer le sol de surface en « couscous » et va lui conférer une forte perméabilité, de l’ordre de 150 millimètres d’eau à l’heure. »[11]

DEUXIEME CONCLUSION : Grâce à cette forte perméabilité (principalement acquise en automne et en hiver lorsque la pluie tombe), le sol va s’aérer, car plus la pluie est froide, plus sa teneur en oxygène est élevée, plus les racines pourront plonger en profondeur. Une bonne aération du sol permettra donc à la plante de se prémunir contre les sécheresses estivales.

 

Enfin, les arbres présentent un réseau de racines horizontales sous la matière organique ce qui leur permet de récupérer les produits (nitrates, phosphates, sulfates, chélates) issus de la minéralisation que les bactéries effectuent lorsque le sol devient plus chaud, au printemps.

TROISIEME CONCLUSION : « Les racines des plantes doivent être sous la matière organique pour en récupérer les éléments. »[12]

 

LES BASES DE LA GESTION DES SOLS AGRICOLES

 

  • Les amendements : compostage et marnage*
  • Le bois raméal fragmenté : « Cette méthode consiste à broyer les bois de taille des haies, des vignes, des arbres fruitiers, ainsi que les rameaux des arbres, et à épandre ce BRF en couches épaisses pour relancer la vie mcrobienne du sol et plus particulièrement les champignons […]. »[13]
  • Le semis direct sous couvert : Davantage conçue pour les grandes surfaces, cette méthode permet aux agriculteurs de se débarrasser de ce qu’ils nomment des « mauvaises herbes » (ou adventices) et de fabriquer une litière de semences. Autrement dit, comme le disent si bien Claude et Lydia Bourguignon, « alors il ne me sera plus nécessaire de travailler le sol, il me suffira de l’ensemencer de plantes après chaque moisson, puis de semer la culture suivante dans ces plantes de couverture qui seront détruites par le gel ou par un rouleau, ce qui m’évitera l’emploi d’herbicides. »[14] Ainsi, le semis direct permet d’augmenter la teneur en matière organique de 0,1% à 0,3%.

 

LA GESTION ET LA SELECTION CLASSIQUES DES PLANTES ET DES ANIMAUX

 

Tout d’abord, la première façon de gérer au mieux les écosystèmes est de cultiver des plantes adaptées au sol que l’on travaille. A l’inverse, « plus on s’éloigne des zones écologiques d’une plante ou d’un animal, plus il faut « artificialiser » le milieu, donc dépenser de l’énergie pour un résultat moins satisfaisant. »[15]  Afin de sélectionner les plantes les mieux adaptées à un terroir défini, on pourrait donc par exemple commencer par se réapproprier les semences issues du terroir afin de pouvoir les réutiliser, dans la mesure où elles ont été sélectionnées « en conditions de terroir »[16] et non dans des laboratoires extérieurs.

 

LA PROTECTION DES PLANTES ET DES ANIMAUX

 

Contribuer à une meilleure gestion du sol c’est aussi ne plus employer de pesticides. Des alternatives existent : la lutte biologique, les molécules simples (eau oxygénée, sel de mer, acide sulfurique…) qui sont efficaces à faible dose, ou encore les « remèdes de grand-mère » comme les tisanes (orties, prêle, bourdaine…) qui ne tuent pas le parasite mais bloque son développement ou augmentent la résistance de la plante à son encontre.

 

LA CONTRIBUTION DES CITOYENS A L’AGRICULTURE

 

« […] un sol conserve sa fertilité si la matière organique qu’il produit lui est restituée chaque année et se transforme en humus sous l’action de la faune du sol et des champignons. »[17] Par conséquent, il faut développer deux choses dans les villes : « la collecte séparée des déchets alimentaires des foyers et le compostage des déjections humaines. »[18]

En ce qui concerne le compostage des déjections humaines, deux solutions s’offrent à nous :

1/  Une solution consisterait à « remplacer les stations d’épuration actuelles par des stations de compostage des effluents sur des tas de paille, de BRF et de déchets paysagistes, de jardin. »[19]

2/ Une autre solution est la mise en place de toilettes sèches chez les particuliers. En se déversant sur de la cellulose ou de la lignine (c’est-à-dire sur de la paille ou du BRF), l’urine engendre le blocage de l’enzyme qui « décompose l’urée en ammoniac volatil […] ce qui supprime toutes les pertes d’azote et le dégagement de mauvaises odeurs. »[20]

 

 

 

CONCLUSION

 

« La nature reste belle quand l’agriculteur intelligent cesse d’élever et de forcer comme au hasard les plantes les plus diverses sur un sol dont il ne connait pas les propriétés, quand il comprend surtout que la terre ne doit pas être violentée, et qu’il la consulte d’abord, en interroge les goûts et les préférences, avant de lui confier ses cultures. »[21] (Elisée RECLUS, La Terre (tome II), 1869)

 

 

 

 GLOSSAIRE

 

Amendement : « […] l’apport, par l’agriculteur, des composés de base constituant le sol, à savoir l’humus et l’argile. »[22]

Humification : « Ensemble de transformations biologiques et chimiques de la litière organique en humus. »[23]

Lignine : Constituant fondamental de beaucoup de végétaux et principale source d’humus

Marnage : Apport d’argile calcaire

Minéralisation : En agronomie et pédologie, la minéralisation est la décomposition de la partie organique d’une matière du sol qui contient également une partie minérale. La minéralisation permet le retour du carbone et des autres éléments sous forme inorganique et donc à nouveau utilisables par les végétaux. Processus naturel, il peut être accéléré par un feu (combustion) ou être utilisé par l’homme pour en faire un engrais naturel (compostage).[24]

 

 

 

NOTES DE BAS DE PAGE

[1] Les compléments d’information entre guillemets sont extraits de l’ouvrage Le sol, la terre et les champs, de Claude et Lydia Bourguignon.

[2] Ibid.

[3] BOURGUIGNON CLuade et Lydia, Manifeste pour une agriculture durable, p. 23.

[4] Ibid., p. 24.

[5] Ibid., p. 26.

[6] Ibid., pp. 26-27.

[7] Ibid., p. 27.

[8] Ibid., pp. 29-30. Nous tenterons d’éclairer ce changement d’idéologie (comme en témoigne le passage du terme d’ « agriculteur » à celui d’ « exploitant agricole » en lien avec le changement de secteur de l’agriculture (du tertiaire au primaire)) allant de pair avec une « modernisation » de l’agriculture grâce à l’ouvrage dirigé par Céline Pessis, Sezin Topçu et Christophe Bonneuil intitulé Une autre histoire des « trente glorieuses » – Modernisation, contestations et pollutions dans la France d’Après-Guerre.

[9] BOURGUIGNON Claude et Lydia, Manifeste pour une agriculture durable, p. 37.

[10] Ibid., p. 40.

[11] Ibid., p. 41.

[12] Ibid., p. 42.

[13] Ibid., p. 48.

[14] Ibid., p. 50.

[15] Ibid., p. 55.

[16] Ibid., p. 56.

[17] Ibid., p. 60.

[18] Ibid., p. 60.

[19] Ibid., p. 61.

[20] Ibid. p. 61.

[21] Ibid., pp. 63-64.

[22] Ibid., p. 47.

[23] BOURGUIGNON Claude et Lydia, Le sol, la terre et les champs, p. 236.

[24] Wikipédia : « minéralisation »

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